La frugalité dans l’itinérance touristique a-t-elle un impact sur le comportement de la clientèle à son retour, en particulier dans le domaine environnemental ? C’est cette question qu’a choisi d’étudier Ilse de Klijn dans la thèse qu’elle soutiendra le 21 décembre à Annecy.
Doctorante en sciences de gestion. Laboratoire IREGE, Institut de Recherche en Gestion et en Économie-Université Savoie Mont Blanc
Qu’est-ce qui vous a amené à étudier la question de la frugalité dans l’expérience touristique ?
Après un master tourisme en 2015 à l’Université Savoie Mont Blanc, j’ai travaillé cinq ans en office de tourisme sur le territoire, mais il me manquait une dimension terrain, en lien avec la transition. J’ai décidé de reprendre mes études et de réaliser une thèse sur la transformation individuelle et l’adoption de comportements pro environnementaux par les clientèles dans le cadre de l’itinérance pédestre.
J’ai effectué ces travaux dans le cadre d’une Cifre (Convention industrielle de formation par la recherche), un dispositif national qui souhaite notamment renforcer les échanges entre laboratoires de recherche publique et milieux socio-économiques. Cela m’a permis d’intégrer, à mi-temps, le bureau d’ingénierie touristique Atémia, basé à Challes-les- Eaux en Savoie.
Comment avez-vous procédé ?
J’ai choisi d’explorer la piste de l’itinérance pédestre pour voir si le fait de vivre de façon frugale pendant plus ou moins longtemps avait un impact sur les comportements des marcheurs à leur retour dans leur quotidien.
Je suis ainsi partie dix jours en juillet 2021 sur le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle, entre le Puy-en-Velay et Conques, seule avec mon sac à dos. J’ai réalisé une partie du parcours en autonomie complète et une partie en hébergement pour mixer les rencontres. En cours de route, j’ai échangé avec 19 marcheurs, de 18 ans à 73 ans, sur leurs motivations, leurs habitudes… Je les ai ensuite rappelés deux semaines après leur retour pour savoir si leur séjour avait ou non impacté leur vie quotidienne, puis six mois plus tard.
Qu’avez-vous constaté ?
Que changements il y a bel et bien quelle que soit la durée de leur itinérance. Ils sont d’ordre psychologique (gain de confiance en soi et d’estime de soi), comportemental (davantage de pratique sportive, de méditation), relationnel (plus grande capacité à s’ouvrir aux autres…), spirituel, mais aussi environnemental. Les personnes interrogées privilégient ainsi, à leur retour, une consommation bio ou locale, se déplacent plus fréquemment à pied, mangent moins de viande, sont davantage détachées du matériel… Quasiment toutes reconnaissent qu’il y a un avant et un après. Six mois plus tard, environ 70 % des comportements pro environnementaux sont maintenus. Ces derniers existaient chez certains, mais ils avaient été relativement abandonnés et l’expérience touristique les a ravivés.
Je ne pensais pas que la sobriété aurait un impact aussi important ! Il y a un réel décalage entre l’abondance dans son quotidien habituel et la sobriété de ce même quotidien sur l’itinérance. L’expérience d’itinérance génère un grand pouvoir de déconnexion, qui favorise la capacité de changer.
Quelles conclusions en avez-vous tirées ? Le tourisme peut-il contribuer à la sobriété ?
Responsable de 11 % des émissions de gaz à effet de serre pour environ 8 % du PIB (Produit intérieur brut) en France, le tourisme est générateur de davantage de nuisances environnementales que de ressources économiques. Or il peut contribuer à la sobriété. Il peut être en effet un vrai levier de changement des comportements avec une pratique frugale transposable dans le quotidien. Tout un chacun va continuer à partir, mais l’offre proposée peut privilégier par exemple des activités plus sobres, porteuses de sens, pour expérimenter une pratique durable, avec des actions à même ensuite d’intégrer le quotidien. Les collectivités et les acteurs socio-économiques ont un rôle à jouer. Même s’il n’est pas le seul, la frugalité est un élément déclencheur de changement de comportement.
L’expérience d’itinérance génère un grand pouvoir de déconnexion, qui favorise la capacité de changer.
Maître de conférences en sciences de gestion. Institut de recherche en gestion et en économie (IREGE), Université Savoie Mont Blanc.
Étudier ce qui se cache derrière le courage managérial pour en percevoir les enjeux et définir, à terme, des outils à même de faciliter le management. C’est, entre autres, l’objet de travaux menés depuis février par ce Savoyard, enseignant chercheur à l’USMB depuis septembre 2022, docteur de l’École Polytechnique et normalien, agrégé en économie-gestion.
Un mot sur vos domaines de prédilection tout d’abord…
Mes travaux portent principalement sur deux axes : les nouvelles formes organisationnelles et les modalités de gestion des grands défis sociaux et environnementaux par les entreprises (la manière dont elles intègrent ces enjeux de société pour penser leur développement).
J’ai beaucoup travaillé sur les concepts d’entreprise libérée ou d’holacratie dans le cadre de ma thèse soutenue en 2021, sur l’idée de distribuer le management, de laisser plus de place à l’autonomie et dans ce cadre, avec d’autres chercheurs, nous nous sommes posés la question du courage. Il est sous-jacent puisque le leader doit lâcher une part de son autorité et les salariés doivent sortir de leur zone de confort pour prendre davantage de responsabilités. Mais il est rarement affiché comme une valeur.
D’où le souhait d’approfondir le sujet ?
Exactement. Avec mes collègues Clara Letierce, Caroline Mattelin-Pierrard et Anne-Sophie Dubey, nous avons commencé nos travaux en février. Ils devraient durer jusqu’à fin 2024. Nous allons intervenir dans plusieurs d’entreprises dites responsabilisantes, réaliser des entretiens avec les salariés, observer leurs pratiques, étudier les dynamiques d’équipe … pour mieux comprendre les situations qui favorisent ou contraignent les comportements courageux.
Mais qu’est-ce que le courage managérial ?
Le courage managérial se matérialise de plusieurs manières. Sur le plan individuel, il s’exprime dans l’oser être, oser dire, oser prendre l’initiative. Au niveau collectif, dans la capacité du groupe à prendre des décisions fortes (comme l’autodétermination des salaires, les licenciements ou une réorientation stratégique radicale), à savoir organiser une discussion qui soit vraie et franche, en prenant le temps nécessaire pour cela.
Au cours des échanges dans la première entreprise étudiée, nous nous sommes rendus compte par exemple que le courage n’est pas toujours associé à une posture héroïque comme c’est le cas dans la littérature, mais plutôt à une attitude humble et réflexive. En effet, l’entreprise libérée valorise davantage le collectif et la distribution des rôles managériaux. Dans ce contexte, les décisions individuelles sont souvent perçues avec plus de vigilance de la part du collectif.
Quels sont les enjeux ?
Le fait d’intégrer le courage à des situations professionnelles intéresse beaucoup. Mais plusieurs questions se posent : quelles conditions facilitent cette prise de courage ? Comment anticiper les risques d’une décision forte ? Quel processus mettre en place pour avoir des discussions saines ? Comment améliorer les relations avec les collègues, et plus largement avec les fournisseurs ou les acheteurs autour de critères qui ne sont pas seulement économiques, mais qui intègrent aussi les valeurs, sociales, environnementales, que l’entreprise défend ? Comment gérer ainsi l’éthique dans les organisations ?
Face à ces enjeux, l’entreprise est amenée à bouger les lignes. Nous souhaitons montrer comment cette idée du courage, qui a des vertus sur le management et le fonctionnement d’une équipe, peut s’appliquer. Notre objectif, à terme, est de voir comment, au niveau d’une organisation, on peut créer des outils, des techniques, adopter des postures pour concilier des intérêts multiples. L’éthique des affaires peut être pensée de manière plus systématique.
A l’heure où les dirigeants ont du mal à recruter, c’est un sujet qui intéresse les jeunes que de penser la relation managériale différemment. Et donc un atout pour les séduire.
L’Université Savoie Mont Blanc a initié en 2020 la création d’une “structure fédérative de recherche interdisciplinaire en santé, prévention et qualité de vie” qui fédère une soixantaine de chercheurs de huit laboratoires. Objectif ? Promouvoir leurs travaux. Le point avec Sonia Pellissier, directrice de cette structure.
Maîtresse de conférences au LIP/PC2S, Laboratoire Inter-universitaire de Psychologie, Personnalité, Cognition, Changement Social – Université Savoie Mont Blanc
Un mot tout d’abord sur votre parcours.
Il est atypique. Biologiste et physiologiste de formation, je travaille aujourd’hui en psychologie, sur la place du stress et des émotions dans le dialogue entre le cerveau et l’intestin. J’essaie par exemple de comprendre comment une pathologie inflammatoire intestinale comme la maladie de Crohn peut impacter le cerveau et générer des états dépressifs. Les résultats de mes recherches ont montré l’implication du nerf vague. Sa défaillance favorise l’inflammation et sa stimulation améliore l’immunité et la santé mentale du patient. Aujourd’hui, j’explore les méthodologies permettant de renforcer l’activité vagale dans la prise en charge des troubles liées au stress (somatisation, burnout, trouble de stress post-traumatique). Mes recherches font souvent appel à l’interdisciplinarité.
Cette interdisciplinarité vous a conduit à vous impliquer dans la création de cette structure fédérative. Pourquoi une telle initiative ?
La pluridisciplinarité, c’est l’ADN de notre université. Au sein de l’USMB, une soixantaine de chercheurs de différentes disciplines (droit, biologie, informatique, psychologie, économie, mécatronique…) travaillent sur des problématiques de santé. De nombreux travaux sont menés dans ce domaine et ne sont pas suffisamment mis en lumière au sein du territoire. D’où l’idée de créer cette Fédération de recherche interdisciplinaire en santé, qui accroît la visibilité et l’accessibilité des recherches menées dans le domaine de la santé au sein de l’USMB. Cette fédération de recherche centrée sur l’interdisciplinarité en santé au sein d’une université “hors santé” comme la nôtre, est unique en France.
Concrètement ?
Nous travaillons autour de trois axes :
Le premier vise la promotion de la santé en population générale et l’identification des situations de vulnérabilité (ex : prévention de la chute favorisant l’autonomie à domicile ou la promotion des comportements de santé telle que l’activité physique). Le deuxième concerne l’homme dans son milieu professionnel, pour savoir comment allier le bien-être et la performance au travail ; cela inclut la prévention des risques psychosociaux (addictions ou troubles musculo-squelettiques), la détection des signaux faibles des états de stress chroniques et du burnout et l’innovation managériale. Le troisième concerne plus particulièrement la santé du patient avec la problématique des maladies chroniques et l’altération de la qualité de vie qu’elles occasionnent. Il s’agit de rechercher des méthodologies éprouvées pour améliorer leur prise en charge (mise au point d’outils d’aide au diagnostic, de prévention tertiaire ou d’innovation dans le parcours de soin…). Au croisement de ces axes, on retrouve des problématiques transversales relevant de la recherche dans les domaines juridique (droit de la personne, données numériques) et méthodologique.
Où en est le projet aujourd’hui ?
Nous sommes en train de poser un pilier important : le cadre inhérent à la loi sur les recherches impliquant la personne humaine. La fédération doit notamment apporter une solution à la protection des données de santé issues de la recherche et elle doit aussi aider les chercheurs à identifier un promoteur au sens de la loi. Aussi, nous nous sommes rapprochés des centres hospitaliers de Savoie (CHMS) et Haute Savoie (CHANGE) en vue de travailler sur les solutions. Nous souhaitons également communiquer auprès des entreprises et des acteurs du territoire et favoriser les échanges scientifiques pour faire émerger des projets innovants qui répondent aux défis sociétaux actuels. Un travail a été initié en ce sens avec la Fondation USMB et Aix les bains Riviera des Alpes dans le cadre de la chaire BEST, un projet interdisciplinaire centré sur le bien-être et la santé mentale au sein de nos territoires, porté par mon collègue Arnaud Carré.
Votre priorité aujourd’hui ?
Nous souhaitons faire de cette fédération un véritable hub de recherche interdisciplinaire en santé, prévention et qualité de vie, un démonstrateur de ce que les chercheurs de l’USMB peuvent apporter à la santé en amont et/ou en aval de l’acte médical.
Directeur de recherche (mathématiques en lien avec la mécanique des fluides) CNRS au Lama, Laboratoire de mathématiques de l’Université Savoie Mont Blanc.
Didier Bresch ferait presque aimer les mathématiques aux plus récalcitrants… Pour lui, c’est une discipline ouverte, aux applications multiples dans notre vie quotidienne.
On a une image plutôt austère de la spécialité. Or vous dites que les mathématiques sont comme une langue, une manière de réfléchir différemment. C’est-à-dire ?
Les mathématiques couvrent un large spectre, des mathématiques fondamentales au calcul scientifique en passant par l’analyse numérique. Un des rôles du mathématicien est d’observer le monde et d’essayer de créer des outils conceptuels permettant de le comprendre un peu mieux. C’est une discipline rigoureuse mais ouverte, qui s’enrichit des liens tissés avec des chercheurs d’autres spécialités. Nous nous nourrissons mutuellement et j’attache une grande importance à l’interdisciplinarité.
Concrètement ?
J’ai par exemple travaillé en collaboration pendant dix ans en biomédecine pour modéliser les processus cancéreux. Les médecins disposent de plusieurs paramètres pour analyser cette maladie et son évolution : leur expérience sur le long terme, l’imagerie… Nous, nous ajoutons les modèles mathématiques. Les cancérologues nous décrivent le phénomène à étudier (évolution des cellules, réactions des individus à un traitement…) et nous le transcrivons. Avec l’aide du numérique, nous réalisons des équivalences, des combinaisons entre équations pour comprendre les impacts, travaillons sur des projections et alimentons ainsi la réflexion des professionnels de santé de manière différente. Une équipe de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique, INRIA est maintenant dirigée, sur ce sujet, par un de mes anciens collaborateurs Olivier Saut, à Bordeaux, en prise direct avec les hôpitaux.
Dans un tout autre domaine, nous avons modélisé les phénomènes de congestion. Comment une foule évacue un espace fermé en cas d’incendie par exemple ? Quid du comportement collectif ? Un groupe de mathématicien s’est rendu compte que si l’on place un obstacle devant la porte, l’évacuation est, contre toute attente, plus fluide car la foule se divise pour le contourner.
Actuellement et depuis quatre ans, je travaille par ailleurs avec deux vulcanologues d’Isterre, Institut des Sciences de la terre (Marielle Collombet et Alain Burgisser)
et une chercheuse de Séville (Gladys Narbona-Reina) pour modéliser l’écoulement dans des conduits magmatiques. Une réelle interaction est nécessaire pour mettre en place des modèles adéquats pour permettre des confrontations numériques aux données. Les glissements de terrain et tsunamis présentent également des enjeux mathématiques importants dans le contexte actuel et sont des sujets étudiés au sein du LAMA.
Vous planchez aussi sur l’environnement et plus généralement sur la planète Terre…
Les problématiques sociétales et environnementales et leurs enjeux socio-économiques de plus en plus prégnants obligent à analyser des systèmes et comportements hétérogènes toujours plus complexes sur la planète. Elles génèrent un besoin croissant de théories, et donc de mathématiques, mais aussi d’interactions entre différentes spécialités.
En 2013, j’ai dressé un bilan des forces mathématiques au niveau français en interaction avec plusieurs domaines de recherche (fluides, océan, atmosphère, biodiversité, énergie…) en direction de la planète Terre. Nous nous sommes concentrés sur les interférences entre des processus variés en nous intéressant aux mathématiques comme une discipline transverse aux présences multiples. Nous avons alors défini trois volets : mathématiques du monde réel, mathématiques en émergence et mathématiques du numérique. La Fédération des mathématiques Auvergne-Rhône-Alpes a utilisé ce document dans la foulée pour soutenir les interactions au sein des universités de la Région, notamment sur des sujets en lien avec la planète Terre.
Ces travaux ont débouché sur la création l’IMPT, Institut des Mathématiques pour la Planète Terre dont vous êtes membre du bureau et l’Université Savoie Mont Blanc membre fondateur. Quel est son rôle ?
En 2016, à la suite de nos travaux, nous avons été auditionnés par le CNRS, Centre national de la recherche scientifique, qui nous a appuyés dans la création d’un Institut des mathématiques pour la planète. L’IMPT est né en 2021 pour orchestrer ces interdépendances entre les maths et la Terre. Ce groupement d’intérêt scientifique s’appuie sur un bureau formé de 50 % de mathématicien-ne-s et 50 % de chercheur-e-s d’autres sciences plus un conseil scientifique et s’est élargi à plusieurs établissements en dehors de la région récemment. Il a comme priorité la recherche avec de nombreux défis à relever (étude sur les écosystèmes et la biodiversité, les écoulements côtiers, la gestion durable des sols et des ressources etc.). Nous réalisons notamment aussi chaque année un appel à projets interdisciplinaire pour donner leur chance à de jeunes chercheurs et chercheuses qui sont encore trop peu nombreuses dans la sphère des mathématiques. Nous travaillons parallèlement sur la reconnaissance de la multidisciplinarité au cours des études et de la carrière, à la mise en place de programmes d’excellence bilatéraux… L’IMPT œuvre aussi au transfert de connaissances qui fait défaut de manière générale. Nous proposons des formations, avons organisé des journées climat à Lyon… C’est une manière de partager des exemples concrets.
Et pour finir, si vous aviez à définir la recherche ce serait… ?
Le partage, l’échange, la découverte…
C’est l’objectif des travaux sur la “Standardisation de la réparation du dommage corporel”, menés sur cinq ans par Christophe Quézel-Ambrunaz, chercheur au Centre de recherche en droit Antoine Favre de l’Université Savoie Mont Blanc. L’idée étant d’accélérer les indemnisations et de désengorger les juridictions.
Christophe Quézel-Ambrunaz
Professeur de droit privé – USMB
Chercheur (Droit privé et sciences criminelles) au Centre de recherche en droit Antoine Favre – USMB
Membre de l’Institut universitaire de France
Depuis 2019, vous consacrez vos travaux de recherche à la “Standardisation de la réparation du dommage corporel”. Pourquoi ?
Les accidents corporels représentent une occupation importante de nos cours d’appel.
La loi Badinter, en 1985, avait créé un régime spécial d’indemnisation des victimes des accidents de la circulation. Elle avait la volonté d’accélérer les procédures à l’amiable, mais c’est un échec car elle n’apporte pas de référentiel. Une victime peut obtenir davantage devant le tribunal, d’où les nombreuses procédures. De même par exemple aussi pour préjudices liés à l’amiante.
Il existe également une sorte de tension, un environnement contradictoire entre deux victimes qui reçoivent des indemnisations différentes pour des préjudices subis similaires au nom de l’âge, du sexe par exemple.
Donner la même chose à tout le monde permet d’aller plus vite. On constate ainsi que les contentieux sont faibles pour les aléas médicaux, l’office national des indemnisations des accidents médicaux ayant établi un barème en la matière.
J’interroge donc cette question. Il n’y a jamais eu d’étude sur ce sujet et mon objectif est de dresser un état des lieux, de voir si les outils existants sont utilisés, de définir quelle est l’indemnisation des souffrances, d’arriver à proposer des méthodes tout en préservant l’individualisation…
Notons par ailleurs que, dans ce cas précis des dommages corporels, l’enseignement a précédé la recherche : l’Université Savoie Mont Blanc est la seule à proposer, en France, un master en droit sur ce sujet.
Comment procédez-vous ?
Nous avons développé une méthode que nous accrochons à la jurimétrie. Nous dépouillons et étudions des corpus de milliers de décisions de justice.
Que constatez-vous à ce jour, sachant que vos travaux se poursuivent jusqu’en 2024 ?
Nous avons d’ores et déjà récolté de nombreuses données. Ce qui est surprenant, c’est qu’il existe déjà une très forte standardisation de l’indemnisation des dommages corporels, exceptée pour des situations qui sortent de l’ordinaire. Beaucoup d’acteurs n’en ont pas conscience. Et on constate un certain nombre de paradoxes. Même si l’indemnisation forfaitaire est officiellement interdite, on se rend compte que les juges et parties suivent souvent les barèmes existants. Il est très rare que les décisions sortent des fourchettes établies. Les décisions sont librement accessibles sur Internet, l’intelligence artificielle cherche à établir des sortes de référentiels non délibérés mais constatés et les acteurs s’en saisissent.
Et qui des souffrances morales ?
Actuellement les souffrances morales sont moins bien évaluées par les experts que les souffrances physiques. Elles sont moins objectivables, or une souffrance psychologique peut être insupportable. Nous sommes en discussion avec Arnaud Carré, directeur adjoint du laboratoire inter-universitaire de psychologie de l‘USMB, pour envisager des collaborations sur ce sujet dans le cadre du projet de chaire sur la santé mentale.
Vous travaillez également sur un calculateur ?
Nous avons collaboré avec Norma sur la mise au point d’un logiciel nouvelle génération qui assiste l’utilisateur dans le calcul des préjudices corporels en intégrant différentes données (dépenses de santé, perte de salaire, calcul des restes à charges…). Le Centre de recherche en droit Antoine Favre a apporté sa caution scientifique. Il était important que cet outil, dont la commercialisation débute, mette en œuvre des méthodes validées par la jurisprudence. Au final, notre objectif est d’aller vers une indemnisation plus rapide en provoquant l’accord des parties.
Des initiatives ont également été lancées au niveau national…
Le ministère de la Justice avait lancé Datajust en 2020 un outil d’indexation automatique des décisions de justice pour l’évaluation des préjudices corporels, mais l’expérimentation a été stoppée en 2022. Des projets de réforme de la responsabilité civile sont également en cours, qui prévoient que le gouvernement donne un référentiel par rapport à l’état de la jurisprudence, mais la proposition de loi n’est pas encore discutée.
Vous recherchez par ailleurs des financements pour aller plus loin dans vos recherches ?
Effectivement. Je souhaiterais créer une fondation qui pourrait être abritée par la Fondation USMB pour lancer des recherches à plus long terme sur le domaine des dommages corporels, mener un travail interdisciplinaire déconnecté des intérêts particuliers, établir un observatoire continu et favoriser une juste indemnisation à un coût supportable pour la société. Notre projet a reçu le soutien d’Alexandra Louis, déléguée interministérielle à l’aide aux victimes. Le montant du droit des dommages corporels brut est estimé en moyenne en France à 100 milliards d’euros par an, soit 4 % du PIB, dont 15 milliards pour les seuls accidents du travail.
Pour finir, quelle serait pour vous la définition de la recherche ?
Lutter contre l’ignorance en produisant et en diffusant de la connaissance, repousser les frontières de celle-ci et apporter des réponses à des questions qui n’en avaient pas jusque-là. Le premier ignorant, c’est le chercheur lui-même…
Élodie Manthé
Docteur en sciences de gestion à l’IREGE, Institut de Recherche en Gestion et en Économie. Université Savoie Mont Blanc.
Élodie Manthé a entamé l’an dernier une étude exploratoire relative aux vacanciers qui contribuent au développement de projets en station via l’arrondi solidaire. Explications.
« Les conséquences d’impliquer les touristes dans la responsabilité sociale des destinations grâce à l’arrondi en caisse. Le cas de stations skis dans les Alpes Françaises« … C’est le titre d’une étude actuellement menée par Élodie Manthé dans le cadre de la chaire Tourisme durable, un programme d’excellence piloté par la Fondation de l’Université Savoie Mont Blanc et dirigé par Dominique Kréziak.
L’objectif de ce travail ? Analyser les motivations et les freins des touristes sollicités pour arrondir de quelques centimes d’euros un achat au profit d’une association locale.
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Un mot tout d’abord sur l’arrondi solidaire. C’est quoi ?
L’arrondi solidaire consiste, lors de son passage en caisse, à payer si on le souhaite un prix rond et à donner ainsi le surplus de centimes à une association de façon simple et indolore.
Ce dispositif, qui existe depuis dix ans en France, était au départ assez lourd à mettre en place. Il était donc plutôt l’apanage des grandes chaînes commerciales. Aujourd’hui, il se démocratise ; certaines banques proposant désormais des solutions clef en main pour l’intégrer sur les terminaux de paiement. Et il commence à s’implanter dans les magasins de montagne au profit d’associations locales.
On voit ainsi émerger un touriste mécène qui fait l’objet de votre étude. Pourquoi ?
Avec la démocratisation du dispositif, les stations lorgnent aujourd’hui sur le mécanisme de l’arrondi solidaire, qu’elles cherchent à intégrer. C’est vraiment un signal faible que nous souhaitons approfondir. Nous voulons voir comment le tourisme peut être contributif.
J’ai eu, pour ma part, l’occasion de travailler dans le milieu du financement participatif, sur cette agrégation de petites sommes versées de façon volontaire pour permettre le financement de projets. J’ai réalisé ma thèse sur ce sujet, étudié les raisons qui font que l’on donne ou pas… D’où mon intérêt pour cette thématique.
Nous avons d’ores et déjà mené l’an dernier une étude exploratoire à Chamonix et Notre- Dame-de-Bellecombe qui tentent de mettre en place l’arrondi au profit de leur club des sports. Nous nous sommes notamment entretenus dans ce cadre avec les responsables des offices de tourisme, des clients…
Qu’est-ce qui ressort de cette première étape ?
Il y a de la part de la clientèle un grand besoin d’information. Elle veut comprendre le pourquoi de ce don et savoir où va l’argent. Pour éviter une réaction négative, il faut donc une démarche sincère des stations, une information claire et précise en amont. Il faut aussi montrer le lien qu’il y a entre le donateur et le projet soutenu.
Il nous semble important aussi que la station parle des efforts entrepris sur le projet et/ou l’association concerné. Il faut une réciprocité dans l’action. Le cas échéant, il peut y avoir de l’irritation, le sentiment d’être pris pour “une vache à lait”, sachant que pour les touristes, acheter local c’est déjà une façon de contribuer à la vie du territoire.
L’attachement à la station est également important dans l’acte de donner ou pas.
Il faut donc trouver le juste milieu entre ce qui marche ou pas. Et c’est justement l’objet de notre recherche que nous allons poursuivre cette année. Nous allons mesurer ce qui peut être légitime comme proposition et interroger notamment quelque 400 touristes qui ont séjourné en stations.
Mais la mise en place de ce mécanisme demande également une réflexion globale de la part des stations ; d’autant que le don a des valeurs différentes suivant les typologies de clientèle.
Peut-on envisager d’autres formes de contributions ?
Tout à fait. Chez les touristes, il y a une volonté claire d’aider, d’expérimenter, de comprendre les enjeux et pas seulement de consommer. Ils ont envie de vivre la montagne, de se sentir acteurs et intégrés. Se rendre utile fait se sentir bien.
Proposer par exemple d’aller compter des espèces de plantes pour assurer un suivi de l’écosystème peut ainsi être valorisant. Cela peut créer des liens qui fidélisent les participants, les attachent à la destination. L’environnement est un bien commun à ceux qui résident comme à ceux qui viennent en vacances.